• La viande est-elle dans le rouge ?

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    Tu liras ci-après avec grand intérêt une tribune parue sur le site du quotidien l'Humanité le 8 septembre et signée par Pascal Lardellier, professeur à l'université de Bourgogne (Dijon).  

    L’évolution des mentalités nous emmène-t-elle vers la fin de la consommation de viande ?

    L’été voit les Français s’adonner à l’une de leurs passions de prédilection, le barbecue. Mais, de plus en plus, celui-ci fait débat. Et le terme de la controverse ne concerne pas le choix des pièces à griller ou la manière de les accommoder. C’est le fait même de manger de la viande qui est remis en question, jusqu’à lui conférer le goût amer d’une culpabilité diffuse.

    Longtemps, la consommation de viande a été considérée comme un allant-de-soi culturel et gastronomique. On en mangeait trop, en toute bonne conscience, et en dépit des prescriptions des nutritionnistes. Nous ingurgitions des tonnes d’animaux de toute sorte, jeunes et adultes. Et nous n’avions pas vraiment de scrupules à être « zoophages », c’est-à-dire à accepter de considérer que la portion servie dans l’assiette venait bien d’un animal, que l’on pouvait se représenter. Mais, doucement, les mentalités évoluent, sur fond de conscience écologique et d’éveil à la cause et à la souffrance animale. De « zoophages », « mangeurs de bêtes » assumés, nous devenons « sarkophages », « mangeurs de chair », selon la dichotomie anthropologique.
    De plus en plus, il nous répugne de voir, ou de simplement deviner, que cela a été vivant. Coûte que coûte, la viande doit être « désanimalisée » pour devenir mangeable. Les fast-foods excellent dans cet exercice de travestissement. Leurs spécialités ne réfèrent pas à l’origine animale (nuggets, burgers et autres wraps), la viande y devient parodique, avec l’omniprésence parodique du sang, le ketchup, pour tout adjuvant. Ces univers-ci sont enfantins, et non plus tragiques. Bel opportunisme symbolique…

    Plus largement, depuis peu, un ensemble de documentaires, d’enquêtes et d’essais ont dévoilé « l’enfer du décor » de la production de viande, mettant des maux et des images sur l’infinie souffrance des « bêtes à manger », et aussi sur la responsabilité philosophique du fait de se nourrir d’animaux, élevés et tués à cette seule faim. Ces contributions, faisant l’éloge de la compassion pour ces bêtes dont on a longtemps dénié la sensibilité et narrant de spectaculaires conversions au végétarisme, revisitent toutes l’antique et définitif Manger la chair, de Plutarque.

    Est d’ailleurs révélateur de l’évolution des mentalités le débat ouvert depuis quelques années autour du foie gras et du martyr des oies gavées. Sur fond de particularisme gastronomique et culturel, celui-ci fut longtemps un impensé. Mais désormais, plus un dîner de fête sans que l’un des convives ne casse l’ambiance en évoquant le triste sort des palmipèdes, et les « images insoutenables du gavage ».

    Cette prise de conscience, encore minoritaire, est cependant une tendance émergente, et à ce titre elle devrait gagner du terrain dans les années à venir. Les végétariens ont longtemps représenté la portion congrue des mangeurs hexagonaux ; de pures curiosités, au pays d’une gastronomie élevée au rang d’art, mettant la viande au centre de la table. S’ils sont trois millions en Grande-Bretagne, ils seraient déjà, symboliquement, un million en France. Leur nombre devrait croître, l’attention à leur cause se percevant dans la multiplication de l’offre : menus végétariens systématiques dans les fast-foods, les collectivités, les transports, de plus en plus dans les restaurants. Une alternative végétarienne existe bel et bien désormais. La jeunesse en serait-elle le porte-étendard ? En tout cas, presque 20 % des étudiants américains auraient déjà banni la viande de leurs assiettes.

    Pour autant, on n’a jamais mangé autant de viande chez nous : des centaines de millions d’animaux de toute sorte sont abattus chaque année, qui finissent dans nos frigos, nos assiettes ou nos poubelles. Et les scandales sanitaires ayant traversé le paysage agro-industriel depuis quelques décennies (veaux aux hormones, vache folle, épidémies aviaires…) refrènent bien peu nos appétits carnassiers.

    Un autre argument devrait de plus en plus entrer en ligne de compte, qui pèse lourd dans la balance de notre frénétique consommation de viande : produire celle-ci a un coût écologique exorbitant. Les calculs prenant en compte l’arrosage des céréales et la nourriture des animaux, puis leurs diverses itinérances en camions, les gaz émis par les bovins, la gestion de l’abattage et des carcasses, l’emballage, etc., révèlent au final un crime de lèse-environnement. Ajoutons-y les méfaits sanitaires d’une consommation excessive, désormais clairement (d)énoncée, et nous pouvons considérer que, bien sûr, nous mangerons encore de la viande, mais en carnivores avertis, de plus en plus dotés d’une conscience éco-responsable quant au contenu de nos assiettes, et d’empathie pour les bêtes. Bref, l’œil de la culpabilité risque désormais de nous scruter depuis le fond de nos assiettes…


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