• Chaque bouchée change lemonde

    "Si un livre et une tête se heurtent et que cela sonne creux, le son provient-il toujours du livre ?"
    Georg Christoph Lichtenberg.

    Jane Goodall  était la semaine dernière à l'Ecole nationale de chimie de Paris, dans le cadre de la campagne 'L'école agit'.
    Elle s'est essayée à sensibiliser des collégiens (de la sixième à la troisième) sur la problématique de notre empreinte carbone et à leur faire comprendre que notre alimentation n'était vraiment pas neutre en matière de destruction de l'environnement et de réchauffement planétaire.

    L'article qu'a publié Frédéric Joignot, journaliste au quotidien Le Monde, est remarquable. C'est un exercice délicat que d'en isoler les passages les plus intéressants.
    Je me suis donc fait une raison et un petit plaisir : j'ai conservé la quasi totalité du papier.
    Frédéric :  Really good job ! Et merci du fond du coeur.

    "Jane Goodall a été honorée pour ses travaux par la National Geographic Society, reçu la médaille Benjamin Franklin pour les sciences de la vie, le titre de "messager de la paix" des Nations unies, la récompense Gandhi-King pour la non-violence – et elle est officier de la Légion d'honneur française. Elle est l'auteur de plusieurs livres, essais et articles d'éthologie importants. Elle sillonne désormais le monde pour alerter l'opinion. Elle passe à Paris en cette fin janvier pour lancer un nouveau combat, défendu dans son dernier ouvrage paru : Nous sommes ce que nous mangeons.

    Pourquoi s'intéresse-t-elle aujourd'hui à la nourriture ?
    Toujours à cause des animaux.
    D'entrée d'entretien, sa colère gronde. "Quand des gens me disent qu'ils sont révoltés par les traitements que nous infligeons aux animaux, cela me met en rage. Que font-ils pour les empêcher ? Quels animaux mangent-ils tous les jours ? Aident-ils les populations défavorisées qui tuent les espèces menacées pour se nourrir ?"

    Jane Goodall est une vieille dame indignée. Il y a de la suffragette britannique, de l'anarchiste activiste derrière ce sourire lumineux. En arrivant à l'Ecole nationale de chimie, elle courait dans l'escalier. "Je fais un peu de gymnastique. Je suis végétarienne, regardez comme je suis en forme. Nous pouvons tout à fait nous passer de viande, vous savez !"

    Dans son livre, Jane Goodall dénonce notre "boulimie" occidentale de viande. Elle en énumère les conséquences, comme l'avait déjà fait l'économiste Jeremy Rifkin dans son étude Beyond Beef ("Au-delà du bœuf", Plume Books, 1993, non traduit).
    Les chiffres qu'ils citent effraient. 1,2 milliard de bœufs, vaches, veaux et moutons destinés à l'abattage vivent sur terre : 100 000 bovins sont abattus par jour aux Etats-Unis, 3 000 000 par an en France.
    Ce véritable continent d'animaux de boucherie, et la monoculture céréalière qui l'accompagne, occupent 25 % des terres cultivées planétaires. Un tiers des céréales mondiales nourrit le bétail que dévorent un demi-milliard d'Occidentaux trop gras.

    Au Brésil, 23 % des terres arables vont à l'alimentation du bœuf exporté, au détriment du maïs et des haricots noirs, nourriture de base des paysans. 90 % du bœuf du Guatemala, pays en malnutrition, part aux Etats-Unis. 50 000 tonnes de bœuf passent chaque année de l'Amérique latine aux Etats-Unis.

    Les conséquences ? L'obésité : 6,7 milliards de hamburgers sont vendus aux Etats-Unis chaque année dans les fast-foods.
    En moyenne, un Américain entre 7 et 13 ans mange 6,2 hamburgers par semaine, presque un par jour. L'eau gaspillée : selon Rifkin, 50 % de l'eau consommée aux Etats-Unis sert à l'élevage. Et le réchauffement planétaire : les déjections et pets des ruminants libèrent chaque année dans l'atmosphère 60 millions de tonnes de méthane, dont la molécule accumule vingt-cinq fois plus de chaleur solaire qu'une molécule de CO2...

    "Au départ, je voulais juste écrire un livre de recettes végétariennes, explique Jane Goodall avec son joli sourire de grand-mère. Et puis j'ai commencé à enquêter sur la façon dont le monde se nourrit. J'ai été épouvantée. Nous avons perdu la raison !"  Son ouvrage commence par un hommage à la cuisine française et à notre tradition de pays "gourmet". Elle y décrit sa fascination pour toutes les expressions culinaires hexagonales importées dans la langue anglaise : apéritif, croquette, consommé, croûtons, flambé, hors-d'œuvre, gratin, quiche, liqueur, mayonnaise, petits fours, soufflé... Puis elle s'étonne qu'entre 1997 et 2003, l'obésité ait augmenté de 15 % en France – que 11,6 % d'adultes et 15 % d'enfants y souffrent de surpoids. Le docteur Jane Goodall a une explication.

    "La multiplication des fast-foods, la mondialisation d'une cuisine bon marché à base de viande et d'huiles sursaturées, voilà ce qui a altéré la tradition française du bien-manger, son goût pour les produits frais et de terroir.

    – Vous n'allez pas convaincre les Français de devenir végétariens...

    – Ils pourraient manger moins de viande. Ils pourraient s'interroger sur l'élevage et l'abattage de masse, se demander quelle philosophie justifie toutes ces souffrances. Pensez à ce qu'est la vie d'une vache, élevée en prison, piquée aux hormones, s'effondrant sur elle-même, souvent envoyée à l'abattoir consciente, écorchée vive.

    – Ecorchée vive ?

    – Je n'invente rien. De nombreux animaux meurent dans des conditions effroyables, dépecés encore vivants, lisez le reportage de Gail A. Eisnitz sur les abattoirs de Chicago [Slaughterhouse : the Shocking Story of Greed, Neglect, and Inhumane Treatment Inside the US Meat Industry, Prometheus Books, 1997].

    - Avez-vous déjà approché une vache ?

    Enfant, j'allais à la ferme de ma grand-mère dans le Kent. Les vaches répondaient à leur nom, nous connaissions la personnalité de chacune, le troupeau paissait dans un pré de trèfles, changeait de pâturage. Ensuite, nous y mettions les cochons qui retournaient la terre, dévoraient les bouses, éliminaient bactéries et parasites. J'adore les cochons.
    Ce sont des bêtes très intelligentes, joueuses, affectueuses, comme les chiens. Quand on pense qu'ils sont enfermés dans des porcheries minuscules où règne une odeur infernale, alors qu'ils possèdent un odorat extrêmement fin ! En mangeant tous ces animaux, qui ont longtemps été nos dieux, nos proches, nous mangeons leurs souffrances, nous incorporons les tortures qu'ils subissent. Je ne peux pas l'oublier."

    De la façon dont l'homme traite les animaux, il traitera les humains.

    C'est un des thèmes récurrents chez Jane Goodall. "Prenez les premières chaînes de montage des usines Ford, elles ont été copiées sur le modèle des abattoirs. Ce n'est pas par hasard."  Henri Ford, selon elle, avait remarqué que parcelliser les opérations d'écorchage concentrait les employés sur une activité mécanique – qui leur évitait toute réflexion. On n'abattait plus des bêtes, on abattait un travail. Sans état d'âme. En appliquant ces méthodes aux humains, Henri Ford a inauguré les "temps modernes" décrits par Chaplin. L'ère industrielle qui a déshumanisé le travail – et le travailleur.

    LE MARTYRE DES SAUMONS

    "Dès que nous ne considérons plus les humains comme tels, nous les traitons, dit-on, comme des animaux . Or, traiter sans aucune compassion les animaux, les considérer comme des objets industriels et plus comme des espèces souffrantes, est déjà une cruauté indéfendable."  Sa colère scintille.

    Evaluer les conséquences incalculables de chaque bouchée de nourriture, voilà la nouvelle quête de Jane Goodall.
    Prenez un sushi. La semaine de notre rencontre, le Fonds mondial pour la nature (WWF) appelait solennellement les grandes surfaces à cesser de vendre du thon rouge, le grand thon fuselé de Méditerranée. Il disparaît à jamais, dégusté dans tous les restaurants japonais d'Europe. Jane Goodall hausse les épaules à cette nouvelle. Rien ne l'étonne plus depuis qu'elle mène ses recherches. Beaucoup de grands poissons sont condamnés à court terme : elle en dresse la liste dans son ouvrage, au chapitre "Le pillage des mers et des océans".
    D'après des enquêtes canadiennes récentes, le saumon boccacio, la raie tachetée, le chevalier cuivré, le colin, l'églefin, l'espadon, le capelan, le thon, la morue (ou cabillaud) sont tombés en Atlantique en dessous des 10 % de leurs populations de 1950.

    "Quand j'étais petite, la morue était considérée comme le pain de la mer . Elle était très bon marché. Nous en achetions dans les fish and chips et les emportions chez nous dans du papier paraffiné. Aujourd'hui, la morue est en voie d'extinction. Tout comme le saumon sauvage. Nous mangeons des saumons d'élevage entassés dans des fermes piscicoles où on les nourrit avec des petits poissons, décimés à leur tour. Ils attrapent des poux de mer qui se répandent hors des cages et exterminent les espèces sauvages. Ils présentent des ulcères, des maladies du foie, deviennent obèses. Les producteurs les traitent avec des antibiotiques et des hormones de croissance.
    Ils les inondent avec des colorants roses pour que leur chair soit présentable dans les supermarchés. Des études menées par la biologiste Angela Morton en Colombie-Britannique ont montré qu'ils sont infestés par des bactéries résistant à 11 antibiotiques sur 18." 

    DES SIGNES D'OPTIMISME

    Derrière sa critique de la nourriture industrielle, les animaux demeurent toujours au cœur de ses préoccupations. "Aux Etats-Unis, les produits chimiques agricoles tuent à peu près 67 millions d'oiseaux chaque année. En Iowa, on ne les entend plus saluer le printemps sur les terres cultivées.
    Silent spring, "le printemps silencieux", la prophétie de Rachel Carson, une des initiatrices du mouvement écologique des années 1960, semble en passe de se réaliser. C'est affreux..." Quand on oppose à Jane Goodall qu'il faut bien développer une agriculture intensive pour nourrir une population de six milliards d'humains, elle se fâche. "Je crois à l'avenir de la culture biologique.

    – Mais cela ne suffira pas...

    – Les jeunes générations comprennent, je le vois dans toutes mes conférences. Elles vont boycotter la nourriture industrielle, elles vont changer leur manière de se nourrir, et cela va gagner le monde...


  • Commentaires

    1
    Jeudi 5 Mars 2009 à 07:46
    salut
    je mets un lien sur notre barbarie que tu connais peut etre http://psychanalyse-et-animaux.over-blog.com/article-10490200.html
    2
    Samedi 7 Mars 2009 à 10:55
    VRAIMENT
    trés bien ce papier. Quel monde de merde quand même...
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